Droit de retrait à la SNCF : «Il y a matière à expliquer à Muriel Pénicaud qu’elle a tort»


Alors que la ministre du Travail a estimé ce mardi que l’action des cheminots n’était « pas légitime ». L’avocat de SUD Rail, Jérôme Borzakian, estime que de nombreux éléments justifient leur droit de retrait.

La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, était catégorique ce mardi sur les ondes de France Inter : « le droit de retrait n'était pas légitime » à la SNCF « sur toute la France, sur tout le réseau » ces derniers jours, après l'accident de TER survenu mercredi 15 octobre dans les Ardennes. Depuis vendredi soir, syndicats de la SNCF et gouvernement s'écharpent sur la légalité ou non de ce droit de retrait, sur lequel plusieurs inspections du Travail ont été saisies et amenées à se prononcer dans toute la France.

Saisie par la SNCF, la direction générale du Travail (DGT) a d'ailleurs expliqué ce mardi, dans un courrier consulté par l'AFP, que l'entreprise n'était pas « contrainte » par les préconisations de l'inspection du Travail du Grand Est qui lui avait recommandé de « suspendre la conduite des trains par un agent seul à bord ». Quant à savoir si le droit de retrait actionné par plusieurs centaines de cheminots était licite ou pas, l'avocat de SUD Rail que nous avons interrogé, Jérôme Borzakian, rappelle que ce sera à la justice d'en décider.

Pourquoi la SNCF peut-elle infliger des sanctions financières aux cheminots qui ont fait valoir leur droit de retrait, alors que l'illégalité de celui-ci n'est pas établie?

JÉRÔME BORZAKIAN. La compagnie a parfaitement le droit d'estimer que ce droit de retrait n'est pas valable. À partir de là, elle peut logiquement amputer le salaire d'un cheminot d'une portion de sa rémunération en fonction du nombre de jour non travaillé. Mais ça ne veut pas dire que la SNCF a raison.

Comment ça ?

Et bien, les cheminots qui auront constaté sur leur fiche de paie que leur droit de retrait est contesté peuvent saisir le conseil de prud'hommes. Ce sera à cette juridiction de déterminer si, oui ou non, ce droit de retrait était justifié.

Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, assure qu'il n'est pas justifié partout, sur tout le territoire ?

C'est son point de vue. Je rappelle que le droit de retrait qui figure à l'article L4131-1 du Code du travail peut être actionné si le salarié se retrouve face à une situation de travail dont il a « un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ». Si Muriel Pénicaud, depuis son bureau du ministère, est capable de se mettre psychologiquement à la place d'un conducteur de train qui doit passer des passages à niveau, dont on sait qu'ils posent problème aux quatre coins de la France, aux commandes de train dont les éléments de sécurité ne fonctionnent plus en cas de choc et qu'il devra gérer seul l'accident, c'est son point de vue. Mais chaque personnalité est différente. J'estime, moi, que nous avons là des éléments pour convaincre le juge que ce droit de retrait est justifié.

Même pour les conducteurs de TGV ?

Ce sera au juge de trancher. Mais dans cette affaire, il y a très largement matière à expliquer à Muriel Pénicaud qu'elle a tort.

Une inspectrice du Travail de la région Grand-Est a préconisé la suspension de la circulation des trains avec seulement un conducteur à bord. Muriel Pénicaud a estimé sur France Inter que la direction générale du travail (DGT) ne partageait pas les conclusions de cette inspectrice du travail. Qu'en pensez-vous ?

Je n'ai jamais vu un tel hiatus. C'est comme si un ministre de la Justice n'était pas d'accord avec les réquisitions d'un procureur et lui demandait de changer. Je rappelle que les inspecteurs du travail sont des personnes assermentées. Ils connaissent leur métier.

La direction de la SNCF, comme le gouvernement, a l'air sûre de leur analyse…

À leur place, je ferai pareil. Ils envoient un message aux salariés : on veut casser la solidarité, le mouvement et on ira jusqu'au bout. Mais la SNCF devrait se méfier. La justice a déjà donné raison aux cheminots. En 2016, 83 cheminots avaient fait valoir leur droit de retrait après une agression sur une ligne ferroviaire de la région parisienne. La direction n'avait pas reconnu ce droit de retrait. La justice en a décidé autrement l'année dernière (NDLR : la SNCF a fait appel). Elle a estimé que la compagnie n'avait pas tout fait pour garantir la sécurité des cheminots. Cela faisait des mois qu'ils réclamaient des maîtres-chiens et des agents de la SUGE (NDLR : Personnel de la SNCF en charge de la sécurité).

Source : Le Parisien