Réforme des retraites : le gouvernement n'a rien à faire de l'avis négatif du Conseil d'Etat


Depuis que le Conseil d'Etat a rendu, ce samedi 25 janvier, un avis consultatif très critique à l'encontre du projet de loi de réforme des retraites, ministres et secrétaires d'Etat ignorent ou minimisent la portée de la gifle reçue par le gouvernement.

A croire que les conclusions de la plus haute juridiction administrative française sont là pour la déco... Depuis que le Conseil d'Etat a rendu samedi un avis consultatif au lance-flammes sur le projet de loi de réforme des retraites et son étude d'impact, ministres et secrétaires d'Etat défilent sur les plateaux pour minimiser l'ampleur de la gifle reçue par le gouvernement.
Dernier exemple en date ce lundi 27 janvier sur franceinfo, dont le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, était l'invité : "Le Conseil d'Etat est dans son droit. On lui a demandé de se prononcer rapidement, donc il est dans son droit de dire que l'étude d'impact aurait pu être plus poussée", explique le patron de Bercy, en référence au document de mille pages censé permettre d'envisager les effets de la réforme.

Le commentaire de Bruno Le Maire tient pourtant du doux euphémisme, quand on se penche sur l'avis des magistrats : "Le Conseil d’Etat constate que les projections financières transmises restent lacunaires et que, dans certains cas, cette étude reste en deçà de ce qu’elle devrait être", écrivent-ils. "Il incombe au gouvernement de l’améliorer encore avant le dépôt du projet de loi au Parlement, poursuivent les magistrats, en particulier sur les différences qu’entraînent les changements législatifs sur la situation individuelle des assurés et des employeurs, l’impact de l’âge moyen plus avancé de départ à la retraite […] sur le taux d’emploi des seniors, les dépenses d’assurance-chômage et celles liées aux minima sociaux."

"Dont acte", répond tout de même le ministre de l'Economie. "Nous notre responsabilité, c'est d'apporter les réponses à toutes ces questions. La conférence de financement et le débat parlementaire vont nous permettre de le faire." Dimanche, il n'y avait guère qu'Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, pour reconnaître dans le Grand Jury RTL - Le Figaro – LCI que l'exécutif aurait "préféré un autre avis du Conseil d'Etat".

D'autres ministres sont en effet nettement plus vindicatifs. C'est par exemple le cas du secrétaire d'Etat au Transports, Jean-Baptiste Djebbari. Dimanche soir, sur LCI, le bras droit d'Elisabeth Borne a ainsi affirmé, sans broncher, que ce que pensait les conseillers du Palais-Royal comptait peu ou prou pour du beurre : "L'avis du Conseil d'Etat est un avis, et donc, comme tout avis, il n'emporte pas la responsabilité politique du gouvernement. C'est bien le gouvernement qui gouverne en France, et le gouvernement assume ses responsabilités devant le Parlement", a-t-il lancé, avant de poursuivre : "C'est ça la responsabilité en politique, c'est pas se cacher derrière les avis des uns et des autres, si éminents soient-ils."

"SÉCURITÉ JURIDIQUE"

Le peu de cas que le gouvernement fait du travail du Conseil d'Etat s'est notamment traduit par les conditions de travail imposées à ce dernier. Outre un calendrier compressé, les magistrats ont du composer avec un texte modifié au fil des négociations avec les partenaires sociaux. De sorte qu'ils expliquent ne pas avoir pu "mener (leur) mission avec la sérénité et les délais de réflexion nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique de l’examen". Sur ce point, les conseillers insistent : "Cette situation est d’autant plus regrettable, poursuivent-ils, que les projets de loi procèdent à une réforme du système de retraite inédite depuis 1945 et destinée à transformer pour les décennies à venir un système social qui constitue l’une des composantes majeures du contrat social."

Une mise en garde solennelle dont Olivier Dussopt, secrétaire d'Etat à la fonction publique, fait une lecture pour le moins optimiste ce lundi, à l'antenne de BFM Business : "Le Conseil d'Etat a validé 95 % des dispositions sur le fond, et considère que c'est une réforme inédite, qui va profondément modifier le régime de retraite", se réjouit-il. "C'est ce que nous voulons créer : un système universel avec une égalité entre les différents assurés qui soit plus juste, plus lisible et plus solide, pour que les générations à venir n'aient pas de dette à payer comme on le fait depuis des décennies."

"C'EST UN AVIS, NOUS NE LE PARTAGEONS PAS"

Le Conseil d'État ne partage pas cet enthousiasme, tordant notamment le cou à l'idée martelée par le gouvernement selon laquelle "chaque euro cotisé ouvre les mêmes droits pour tous". Cette affirmation "reflète imparfaitement la complexité et la diversité des règles de cotisation ou d'ouverture de droits définies par le projet de loi", écrit le Conseil. Il remet aussi en question la formulation de "régime universel de retraite", soulignant la persistance de régimes particuliers dans le système par points voulu par le gouvernement.

Quid de l'augmentation de salaire des enseignants, mesure compensatoire sans laquelle ces derniers seraient les grands perdants de la réforme des retraites ? Dans son avis, le Conseil d'Etat est on ne peut plus clair à propos de ce rééquilibrage : "Sauf à être regardées, par leur imprécision, comme dépourvues de toute valeur normative, ces dispositions sont contraires à la Constitution", peut-on lire. "C'est un avis, nous ne le partageons pas et ce qui compte c'est l'engagement du gouvernement", répond mécaniquement Olivier Dussopt.

Quant à la "lisibilité" de l'ensemble, vantée par le secrétaire d'Etat, les juges administratifs lui font également un sort : "Le choix d’une détermination annuelle de chacun des paramètres du système – entre autres, la valeur du point et l'âge d'équilibre, ndlr. - aura pour conséquence de limiter la visibilité des assurés proches de la retraite sur les règles qui leur seront applicables."

Source : Marianne