Un an après la grande grève contre la réforme ferroviaire qui avait secoué le printemps 2018, les syndicalistes dénoncent une ambiance de chasse aux sorcières à la SNCF. A quelques mois d’écart, Linda Zerhdy, Yannick Dubois, Renald Szpitalnik et Eric Bezou, tous membres du syndicat Sud rail, ont fait l’objet de procédures de licenciement. Yannick Dubois, cheminot à la gare de Rennes, a été radié l’été dernier, officiellement pour avoir voulu “nuire à l’entreprise”. Linda Zerhdy, agent commerciale à la gare de Rambouillet, a été licenciée ce 19 juin pour n’avoir pas suivi la procédure règlementaire en présence d’un sac abandonné. Renald Szpitalnik, contrôleur à la gare de Lyon, a pour sa part été sauvé par une forte mobilisation en sa faveur, alors qu’on lui reprochait d’avoir pris des vieilles traverses (ces planches en bois qui servent de support aux rails) lors d'une action syndicale. Reste le licenciement d’Eric Bezou, qui doit être validé lors d’un CSE extraordinaire le 26 juin.
Intimidations, sanctions disproportionnées...
A la CGT aussi, des militants sont dans le viseur de la direction. Bérenger Cernon, du syndicat CGT des cheminots de la gare de Lyon, affirme avoir recensé “plusieurs cas, soit d'intimidation, soit de sanctions disproportionnées”. Début juin, Kévin Kemmat, agent de manœuvre en gare de Bercy, ancien élu du personnel et militant à la CGT, a reçu une convocation en vue de sa radiation des cadres - c'est-à-dire son licenciement - après un incident de wagon porte-automobiles. Un de ses collègues non syndiqué est également concerné. De même, Jean-Michel Dieudonné, cheminot cégétiste de Nancy, a été radié en janvier. “On a dix échelles de sanctions : la radiation des cadres c’est le plus haut niveau. Avant, c’était le bout du bout, il fallait vraiment faire une faute lourde. Mais désormais, ils sont décomplexés, on est clairement dans une volonté de répression syndicale”, dénonce Bérenger Cernon.
Tous ces militants ont en commun d’avoir ferraillé contre l’ouverture à la concurrence de la SNCF en 2018, et d’avoir de nombreuses années de pratique syndicale de résistance à leur actif. Jugeant ces sanctions disciplinaires disproportionnées, ils soupçonnent la SNCF de vouloir leur faire payer leur engagement. Sollicitée pour cet article, la SNCF rejette “toute notion d'acharnement ou de discrimination syndicale”. Elle affirme également que tout conseil de discipline “se déroule avec les garanties d'équité et d'ouverture”.
“Le terme ‘anxiogène’ fait référence à mon engagement syndical”
“Une forme de répression est en train de se développer à la SNCF, qui est très inquiétante”, s’alarme de son côté Eric Beynel, porte-parole de Sud. Le dernier cas en date concerne Eric Bezou. Ce chef de quai à Mantes-la-Jolie âgé de 52 ans, bien connu pour son action de solidarité auprès des cheminots en souffrance au travail, s'est mis en grève reconductible pendant plus d’un mois en 2018. En mars 2019, alors que sa demande d’évolution de carrière venait d’être refusée une nouvelle fois au prétexte qu’il aurait un comportement “anxiogène” et qu’il n’aurait “pas la posture de l’agent de maîtrise”, celui-ci s’est agenouillé devant sa hiérarchie lors de son entretien professionnel, mimant une posture de soumission. “Mon rôle de délégué du personnel est d’être parfois provocateur pour susciter des réactions. Je ne me serais pas mis à genoux si on n’avait pas nié de manière aussi malhonnête ma qualité de travail. Mais aujourd’hui, on se fait licencier pour ça”, regrette-t-il. Pour lui, cela ne fait aucun doute : “Le terme ‘anxiogène’ qui m'est reproché fait référence à mon engagement syndical”.
Aux yeux de ces militants syndicaux, la direction de la SNCF avance des “prétextes”pour “se débarrasser” d’eux, “et faire peur aux autres”, résume Eric Beynel. “Les motifs invoqués par la direction ne sont pas forcément liés à la grève de l'an dernier. Ils utilisent des prétextes plutôt indirects, avec des procédures déclenchées a posteriori. Mais tous sont des militants”, complète-t-il. Anasse Kazib, délégué Sud rail à la gare du Nord, et un des leaders de l’intergare - ce collectif qui avait dépassé les consignes des directions syndicales pour radicaliser la grève en 2018 -, abonde : “Cette répression ne fait pas directement suite à la grève, mais elle a clairement un caractère antisyndical. Dès qu’ils ont le moyen de taper sur un élu du personnel, ils ne le loupent pas”.
Source : Les Inrockuptibles