La réforme s’annonce particulièrement complexe à appliquer dans l’entreprise publique. D’autant que la CGT, l’Unsa et SUD Rail, reçus jeudi par la direction, refusent d’en parler.
Si le prix du pire job de France devait être décerné chaque année, pour 2019 il serait probablement attribué au directeur des ressources humaines (DRH) de la SNCF. Car discrètement mais sûrement, Édouard Philippe et son gouvernement ont renvoyé à la compagnie ferroviaire le soin d'assurer et de construire la transition entre la fin du régime spécial des cheminots et le passage au régime universel. Un casse-tête, une patate chaude, une bombe sociale, qui quelle que soit l'expression utilisée pour qualifier cette mission promet au service RH de la SNCF de longues nuits sans sommeil.
Non content d'avoir fixé le cadre d'extinction du régime — à savoir que ce sont les générations de conducteurs et de contrôleurs nés en 1985 et celle des sédentaires nés en 1980 qui basculeront les premières dans la retraite universelle — le Premier ministre s'est engagé mercredi à conserver « 100 % des droits acquis dans les régimes actuels ».
Tout en précisant que « pour ne pas léser les régimes qui fondent leur calcul de retraite sur les six derniers mois, nous sommes prêts à mettre en place des dispositifs très protecteurs, qui permettront de garantir que nul n'est lésé ». Comment ? Avec quelle marge de manœuvre ? La SNCF est dans le flou. « C'est d'une complexité sans nom, décrypte une source interne. Comment calculer, en euro sonnant et trébuchant, le rattrapage du cheminot qui passe du régime spécial au régime universel quand vous n'avez aucune idée de ce que seront ses six derniers mois de carrière ? ».
« On nous demande de faire un miracle »
Autre sujet délicat, la mise en œuvre de l'âge d'équilibre qui passe à 64 ans. Comment le mettre en œuvre ? Selon quel calendrier, alors que depuis les dernières réformes de retraites des mesures de convergence sont déjà en cours. « C'est du grand n'importe quoi, résume une source syndicale. L'entreprise va se retrouver avec au moins quatre régimes différents : les cheminots avec le régime spécial, ceux qui étaient au statut et qui passeront au régime universel, les contractuels recrutés avant le 1er janvier 2020, date de la fin d'embauche au statut, et les contractuels qui rejoindront la SNCF après cette date. »
Pas étonnant, alors que, comme la CFDT-Cheminots et l'Unsa-Ferroviaire, au plus haut sommet de la compagnie on espérait que le gouvernement organise la fin du régime spécial avec celui du statut. « Cela aurait été beaucoup plus lisible, analyse un cadre. Au 1er janvier 2020, seuls ceux qui sont statut auraient gardé le régime spécial. Point final ».
Jeudi matin, comme demandé par le Premier ministre, la direction de la SNCF a lancé le dialogue avec les syndicats pour discuter « des éléments de la réforme ». Car le temps presse. Le gouvernement espère de ces concertations qu'elles aboutissent à une sortie de grève. Illusoire? « En 2018, en faisant voter la réforme ferroviaire, nous avons réalisé l'impossible. Mais là, mettre fin au régime spécial et à la grève sur un claquement de doigts, on nous demande de faire un miracle », résume le même cadre de la SNCF.
« Le gouvernement nous a sorti le pire »
Reçue par le DRH, l'intersyndicale CGT-Unsa-SUD Rail a refusé de parler de cette réforme : « Nous sommes vent debout contre elle, résume Didier Mathis, secrétaire général de l'Unsa-ferroviaire. Pourquoi en parler ? Nous avons calculé que 52 000 cheminots allaient sortir du régime spécial ». Du côté de la CFDT-Cheminots, reçue à part, le calcul est légèrement différent mais le constat le même : « Ce sont plus de 44 000 cheminots qui vont quitter le régime spécial, estime Sébastien Mariani, secrétaire général adjoint. C'est inacceptable. Le gouvernement nous a sorti le pire ».
Source : Le Parisien