Tribune. S’il reste peu connu du grand public, le nom du Dr Li Wenliang restera associé à une alerte dont les conséquences sont incalculables, à la fois du point de vue des victimes humaines et leurs proches, et du point de vue des modes de fonctionnement des sociétés contemporaines. Médecin ophtalmologue à l’hôpital de Wuhan en Chine, mort des suites du coronavirus, ce dernier avait été arrêté avec sept autres médecins pour « perturbation de l’ordre public ». Leur forfait ? Avoir alerté de manière précoce sur les premiers cas suspects de coronavirus en Chine, pays gouverné de manière autoritaire et qui n’est donc pas un champion des libertés publiques.
Le signal d’alerte a fini par être pris au sérieux, mais avec un temps de retard, les autorités ayant pensé contenir l’épidémie à Wuhan, avant que sa diffusion ne produise la pandémie actuelle, qui a secoué l’ensemble du globe et affecté les conditions de vie de ses habitants de manière durable.
Impératif démocratique
Une fois de plus, cette crise démontre cruellement la nécessité de protéger les lanceurs d’alerte qui rendent publiques des informations pour protéger l’intérêt général, au risque de bousculer les intérêts économiques. Parce qu’ils portent à la connaissance des autorités et du public des signaux précurseurs, ceux qui annoncent les catastrophes à venir sont des vigies essentielles de nos systèmes de prévention et de gestion des risques. Il en va de la pandémie de Covid-19 comme du sang contaminé en France ou de l’explosion de la navette Challenger aux Etats-Unis : nombre de catastrophes auraient pu être évitées, ou voir leurs effets limités, si les lanceurs d’alerte avaient été écoutés et protégés contre les mauvais traitements.
Plus encore, dans des périodes de crise telles que celle que nous traversons, où le risque d’abus de pouvoir est accru et où les mécanismes de contrôle voient leur efficacité amoindrie, les lanceurs d’alerte permettent notamment de faire la lumière sur les conduites de nos gouvernants. Ce sont leurs alertes qui nous aident à exiger et obtenir qu’ils nous rendent des comptes. Protéger les lanceurs d’alerte relève alors d’un impératif démocratique.
En première ligne sur le front de la liberté d’expression
En dépit de cela, des représailles s’abattent toujours sur ces « sombres précurseurs », porteurs d’une vérité qui dérange. Victimes d’intimidations ou de poursuites en diffamation, de harcèlement ou de licenciement, les attaques visant à les faire taire constituent leur lot commun. En conséquence, ils sont trop souvent amenés à se taire par peur de faire l’objet de représailles, ou par peur que leur parole ne soit pas entendue, leur alerte ignorée. Quelles seront les conséquences si, aujourd’hui, à l’heure où l’on dénombre chaque jour plusieurs milliers de morts, des faits répréhensibles pour la santé publique restent dissimulés ?
Parce qu’ils s’exposent, en première ligne, sur le front de la liberté d’expression, les lanceurs d’alerte doivent être armés du soutien de la société civile. Face aux attaques dont ils font l’objet, ils doivent être accompagnés juridiquement, psychologiquement, financièrement. Dans un tel contexte, il importe en outre que les dispositifs qui les protègent ne soient pas des « boucliers de carton » mettant les lanceurs d’alerte en danger de représailles plus qu’ils ne les en préservent.
C’est le but de la Maison des lanceurs d’alerte créée en 2018 par 17 associations et syndicats : mobilisées depuis de longues années sur le sujet, nos organisations appellent de leurs vœux à la mise en place d’un statut réellement protecteur des lanceurs d’alerte en droit interne, ce que permettrait une transposition rapide et ambitieuse des acquis de la directive européenne de décembre 2019 et des recommandations du Conseil de l’Europe, au sujet desquels nous avons interpellé le président de la République, Emmanuel Macron, en novembre 2019.
Pour que la crise d’aujourd’hui nous prémunisse, demain, de nouvelles catastrophes, il y a urgence à accorder aux lanceurs d’alerte plus qu’une promesse de protection. C’est pourquoi nous appelons les citoyens et les citoyennes soucieux de l’intérêt général à soutenir, à nos côtés, l’instauration d’un statut véritablement protecteur des lanceurs d’alerte et à se mobiliser pour que leur rôle fondamental dans l’exercice démocratique soit pleinement reconnu.
Signataires : Patrick Apel-Muller, Directeur de la rédaction de l’Humanité ; Marc Arazi, Président d’Alerte Phonegate ; Marie-Laure Basilien-Gainche, Professeure des universités en droit public, Université Lyon III ; Éric Beynel et Cécile Gondard-Lalanne, porte-paroles de l’union syndicale Solidaires ; Sophie Binet et Marie-José Kotlicki, cosecrétaires générales de l’Ugict-CGT ; Lise Blanchet, Journaliste ; Loic Blondiaux, Professeur des Universités, Département de science politique de la Sorbonne ; Nabil Boudi, Avocat au barreau de Paris ; Joseph Breham, Avocat au barreau de Paris ; Nadège Buquet et Arnaud Apoteker, Coprésidents de la Maison des Lanceurs d’Alerte ; Alexandre Calvez, Référent 75 de l’association Anticor ; Violaine Carrère, Chargée d’études dans une association d’aide aux exilé.e.s ; Marie-Anne Cohendet, Professeur des Universités, Ecole de droit de la Sorbonne ; Maxime Combes et Aurélie Trouvé, Porte-paroles d’Attac France ; Chantal Cutajar, Présidente de l’Observatoire Citoyen pour la Transparence Financière Internationale, Présidente de Citoyens engagés ; Antoine Deltour, Lanceur d’alerte des Luxleaks ; Alexandre Derigny, Secrétaire général de la CGT Finances ; Michel Diard, Journaliste honoraire, docteur en sciences de l’information et de la communication ; Antoine Dulin, Membre du Comité Economonique, Social et Environnemental ; Mathilde Dupré, Codirectrice de l’Institut Veblen ; Guillaume Duval, Président du Collectif éthique sur l’étiquette ; Marc André Feffer, Président de Transparency International France ; Joël Ferbus, Secrétaire d’Alerte Phonegate ; Bastien Francois, Professeur de Sciences politiques, Département de science politique de la Sorbonne ; Khaled Gaiji, Président des Amis de la Terre France ; Prune Helfter-Noah et Franck Pupunat, Mouvement Utopia ; Kévin Jean, Président des Sciences Citoyennes ; Jérôme Karsenti, Avocat au barreau du Val de Marne ; Nicolas Laarman, Délégué général de Pollinis ; Francine Lepagny, Présidente de Sherpa ; Laurent Mahieu, Secrétaire général de la CFDT Cadres ; Jean-Louis Marolleau, Sécrétaire exécutif, Réseau Foi & Justice Afrique Europe antennne France ; Sarah Massoud, Secrétaire du nationale du Syndicat de la magistrature ; Christophe Noisette, Rédacteur en chef d’Inf’OGM ; Claire Nouvian, Militante écologiste ; Albert Ogien, Directeur de recherche émérite au CNRS ; Guillaume Pellerin, Chercheur en informatique ; Thomas Perroud, Professeur de droit Public, Université Panthéon-Assas – CERSA ; Laura Pfeiffer, Inspectrice du travail, Lanceuse d’alerte ; Jean-Christophe Picard, Président de Anticor ; Julie Potier, Directrice de Bio Consom’Acteurs ; Grégoire Pouget, Président de Nothing2Hide ; Emmanuel Poupard, Premier secrétaire général du SNJ ; Maxime Renahy, Président de l’association « Lanceur d’Alerte » ; Simon Rodier, Journaliste ; Sabine Rosset, Directrice de Bloom ; Juliette Rouchier, Directrice de recherche au CNRS ; Malik Salemkour, président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) ; Yves Sintomer, Professeur de sciences politiques, Université Paris 8 ; Serge Slama, Professeur de droit public, Université Grenoble Alpes ; Jean-Baptiste Soufron, Avocat au barreau de Paris ; Henri Sterdyniak, Les Economistes Attérés ; Jacques Testart, Docteur ès Sciences Directeur de Recherche honoraire à l’I.N.S.E.R.M ; Henri Thulliez, directeur de la Plateforme pour les Lanceurs d’Alerte en Afrique ; Elise Van Beneden, Présidente d’Anticor ; Christian Vélot, Président du conseil scientifique de CRIIGEN ; Aurélien Vernet, Co-fondateur de Lobby-Citoyen.org ; Emmanuel Vire, Secrétaire général du SNJ-CGT ;